La série des 8 hangars- voûtes vers 1920.

Conçus par Eugène Freyssinet en 1916, les 8 hangars-voûtes sont à l’origine destinés à la maintenance des biplans de l’école d’aviation d’Avord. À l’époque, ils constituent sans doute la première réalisation française de hangars pour avions en béton armé. Dans les années 2000, le seul hangar restant est affecté au Centre de Formation de Défense Sol-Air de l’Armée de l’Air. Son centenaire est l’occasion de revenir sur l’importance historique de cet ouvrage et de valider les conditions de sa préservation.

Historique

Créé en 1912, le centre d’aviation d’Avord devient au cours de la Première Guerre mondiale l’école d’aviation la plus importante en France, formant plus de 10 000 aviateurs durant le conflit. Le nombre d’avions basés à Avord ne cesse de croître (1 300 en 1918), nécessitant d’importants travaux d’infrastructure. En 1914, l’archétype du hangar pour avions est pourtant une construction en bois et toile (Bessonneau), dont les différentes tailles répondent aux envergures des avions. Par leur légèreté, les structures bois sont employées aussi bien sur les terrains du front que sur les grands camps d’aviation à l’arrière. Les structures en acier sont quant à elles pénalisées par les besoins en ressources pour l’armement, poussant les ingénieurs à inventer des structures de très grande portée (80 m) comme les hangars métalliques à fermes haubanées (Arnodin-Eiffel et Dubois). En France, l’utilisation du béton armé dans les hangars pour avions devra attendre 1916 avec les premiers travaux des ingénieurs Freyssinet, Lossier et Caquot.

En réalité, Eugène Freyssinet jette dès 1913 les premières bases d’un hangar pour avions en béton armé en soumettant au Génie d’Orléans des projets audacieux pour l’époque. « Un de ces projets comportait l’emploi d’une série de nefs voûtées, recoupées par une nef identique, mais perpendiculaire aux précédentes, de manière à déterminer des voûtes d’arêtes. La note descriptive du projet fut jugée paradoxale, parce qu’elle affirmait que, pour la construction des grands hangars d’aviation, le « ciment armé » permettrait de réaliser des conditions de solidité, de sécurité, d’étanchéité et de résistance à l’incendie, inconnues jusqu’à ce jour, avantages auxquels viendra s’ajouter l’économie du prix de revient1. »

1 – Article du Génie Civil du 22 septembre 1923.

Fin 1915, le projet de Freyssinet, refoulé par le Génie deux ans plus tôt en raison de la guerre, est relancé avec d’autant plus d’intérêt que la pénurie d’acier rendait difficile l’emploi de charpentes métalliques. Eugène Freyssinet remporte le programme de construction de 8 hangars sur le camp d’Avord, avec l’entreprise Limousin, en concevant une structure en voûte de 46 m de portée et de 60 m de longueur, pour une hauteur utile de 11,50 m, une prouesse pour l’époque.

De l’invention de la voûte à nervures supérieures

À l’opposé des hangars où la charpente et la couverture forment deux éléments distincts, Freyssinet conçoit une structure monolithique en béton armé, en forme de voûte mince en berceau, raidi par des arcs-nervures régulièrement espacés de 3,91 m à l’entraxe. Tirant parti des caractéristiques géotechniques du sol d’Avord, il prolonge la voûte jusqu’au sol, appuyant les arcs sur des massifs largement ancrés (environ 2 m à la base) et formant culées, tandis que les hourdis de la voûte sont eux aussi bloqués par une fondation de 1 m de largeur. De ce fait, les arcs- nervures ont une section variable allant de 120 cm à la base à 45 cm à la clef et les hourdis de 30 cm à 9 cm.

Freyssinet adopte pour ces arcs un schéma d’encastrement plutôt qu’un arc à 3 articulations, système retenu par l’ingénieur Lossier pour le hangar à dirigeables d’Écausseville2 à la même époque. Sans ignorer certains avantages du système de Lossier, Freyssinet développera dans l’article du Génie Civil de 1923 les raisons pour lesquelles la voûte monolithique lui paraît plus adaptée en termes de durabilité et d’économie sur le long terme.

Une autre spécificité de la voûte se révélera par la suite une des innovations majeures des années 1910-1920 : en plaçant les arcs sur l’extrados de la voûte, Freyssinet simplifie les coûts de coffrage en recourant à des cintres entièrement lisses et de faible largeur, facilement déplaçables par des chariots. Le coffrage des hangars est par conséquent effectué en deux temps : les voûtes sont réalisées en premier puis les nervures sont coffrées par le dessus de façon répétitive, bénéficiant de la voûte comme plate-forme de travail.

Dans le projet d’Avord, les deux pignons des hangars sont dotés de portes roulantes au sol à débattement extérieur de 35 m d’ouverture et de 6,50 m de hauteur. Le débattement se fait par l’intermédiaire de rails de guidage fixés sur un encorbellement. Deux poutres-au-vent réalisées en éléments en béton armé de 20 cm d’épaisseur, suspendus aux nervures, servent de contreventement. Quatre verrières en partie centrale sont disposées dans les hourdis, pour apporter un éclairage naturel au centre des hangars.

Si l’on ne dispose pas à ce jour des archives relatives à la réalisation de ces hangars, on peut néanmoins souligner la grande efficacité en termes de rapidité d’exécution que Freyssinet développe sur ces premiers hangars avions, argument supplémentaire qu’il ne tarde pas à faire valoir pour les autres programmes de hangars.

Au perfectionnement de la voûte

Fort de cette expérience, Freyssinet persuade le Génie de réaliser une série presque identique de 32 hangars sur le camp d’aviation d’Istres en 1917. Si tous ne sont pas construits, la quinzaine d’exemplaires est entièrement détruite en 1944.

Mais c’est en 1919 à Villacoublay que Freyssinet réalise une des plus belles structures de hangar à voûtes, également détruite en 1944. Située à côté des hangars Piketty construits en 1918 sur les mêmes bases que les hangars de type Lossier, le hangar de Freyssinet est constitué par la juxtaposition de trois voûtes en berceau parallèles, coupées par deux autres voûtes centrales perpendiculaires joignant la clé des premières voûtes. La surface intérieure libre de tout poteau atteignait 
120 m de largeur par 45 m de profondeur, correspondant par là même au projet de hangar imaginé par Freyssinet dès 1913.

Vue du pignon est, muré par l’adjonction d’appentis intérieur.
Vue du pignon est, muré par l’adjonction d’appentis intérieur.
Élévation pignon ouest et coupe transversale / Coupe longitudinale et élévation sud
Élévation pignon ouest et coupe transversale / Coupe longitudinale et élévation sud

Les prémices de la précontrainte

Au début des années 20, Freyssinet fait évoluer la voûte à nervures supérieures en développant des voûtes ondulées pour des hangars à Villacoublay et pour les deux hangars à dirigeables d’Orly tout en diminuant leurs épaisseurs jusqu’à 8 cm pour maintenir la rentabilité. En 1927, les hangars de Palyvestre marquent sans doute un tournant dans les expérimentations de Freyssinet sur les voûtes minces en béton armé. Pour franchir 55 m de portée, Freyssinet met en œuvre une voûte en berceau ordinaire sous-tendue par une structure triangulée composée d’éléments ne fonctionnant qu’en traction grâce à l’introduction de déformations préalables, ce que certains verront comme les prémices de la précontrainte.

Un nouvel emploi pour le hangar Freyssinet d’Avord

Sur les huit hangars d’Avord, seuls deux hangars échappent aux bombardements de 1944. Avec des réparations minimes, ils conservent leur destination aéronautique jusque dans les années 60. Suite à la démolition d’un des deux hangars pour les besoins des avions AWACS, le dernier exemplaire est affecté au milieu des années 2000 au centre de formation du pôle de défense sol-air. Quelques travaux d’aménagement d’appentis sont entrepris à l’intérieur tandis que la porte ouest est déposée et le pignon correspondant muré. La poutre-au-vent est laissée en l’état, même si elle ne joue plus de rôle de contreventement du pignon. Une étanchéité à base de membranes PVC est installée sur toute la surface extérieure de la voûte et les verrières zénithales sont remplacées par des voûtes en polycarbonates. La voûte intérieure est conservée intacte.

La voûte présente visuellement un état de conservation général très satisfaisant au regard de son âge (100 ans). Seules quelques infiltrations sont apparues avec des décollements ponctuels de la membrane extérieure. Les mesures de carbonatation effectuées révèlent une carbonatation généralisée des zones d’enrobage des aciers verticaux et horizontaux de la voûte, sans pour autant que ces derniers présentent de corrosion.

Les pignons, et notamment les dalles en encorbellement, présentent en revanche des désordres plus généralisés, liés aux infiltrations d’eau. Les poutres-au-vent présentent des fissurations anciennes, sans doute dues à des utilisations non prévues, qu’une instrumentation pourrait confirmer.

Perspectives de préservation

Hormis une nécessaire remise en état localisée au niveau des dalles en encorbellement, 
l’état général de ce dernier exemplaire de hangar-voûte en béton armé reste exceptionnel au vu de son ancienneté. Des interventions mesurées permettraient à court terme de redonner à ce hangar un potentiel optimal pour les besoins du centre de formation, dont l’activité semble tout à fait s’accommoder avec la vocation aéronautique originelle. À moyen terme, un suivi des effets de la carbonatation du béton permettrait d’envisager sa préservation sur une période plus importante.

Si le patrimoine aéronautique militaire reste généralement d’un accès limité en raison des activités qui y sont exercées, une mise en valeur par le label Patrimoine XXe siècle serait une reconnaissance pleinement justifiée au regard de l’importance historique de cette première réalisation et un vecteur patrimonial pour les générations futures.

2 – Construction Moderne – Annuel Ouvrages d’art 2013.

Vue du pignon ouest : les portes datent de 1945.
Vue du pignon ouest : les portes datent de 1945.
Aperçu de l’intérieur de la voûte.
Aperçu de l’intérieur de la voûte.

Reportage photos : Guilhem LABEEUW

Maître d’ouvrage : ministère de la Défense – Concepteur : Eugène Freyssinet – Entreprise : établissements Limousin – Surface : 2 700 m2 SHON – Année de réalisation : 1916.



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