Au pied des monts du Cantal, la ville d’Aurillac s’anime chaque été depuis 1986 de spectacles et d’animations variés lors de son désormais célèbre Festival international du théâtre de rue. « C’est cette dimension collective et urbaine qui a façonné l’élaboration du nouveau complexe cinématographique de la ville », explique Bassel Makarem, un des trois associés de l’agence d’architecture Linéaire A, maître d’œuvre du nouvel équipement.

En effet, le projet est profondément urbain. C’est en premier lieu un choix du maître d’ouvrage qui, bien conscient que le cinéma précédent ne correspondait plus aux attentes des clients, a fait le choix de créer un multiplexe en plein centre-ville, et a ainsi mis à disposition le site de l’ancienne caserne. Celle-ci est constituée de trois corps de bâtiment de la fin du xixe siècle et disposés en « U ». Les concepteurs ont choisi d’implanter le nouveau complexe sur le quatrième côté, face au bâtiment principal de l’Horloge, libérant ainsi une vaste place à la disposition des différentes manifestations organisées par la ville dont le Festival international du théâtre de rue. « Nous avons cherché à reconstituer l’environnement initial de cette ancienne caserne en redonnant corps à ce qui avait été préalablement la place d’Armes », poursuit Bassel Makarem. Le nouvel équipement occupe ainsi le côté ouest de la place avec des proportions en plan équivalentes à celles de l’existant.

Le bâtiment s’intègre dans le contexte urbain de l’ancienne caserne à la fois au niveau du gabarit du bâti et des axes de composition conservés.
Le bâtiment s’intègre dans le contexte urbain de l’ancienne caserne à la fois au niveau du gabarit du bâti et des axes de composition conservés.

Respect des gabarits

La hauteur est calée sur le niveau haut des lucarnes de la place. Le respect de cette hauteur a conduit les architectes à proposer un calage altimétrique très fin avec un léger décaissé au niveau de la place, traité avec de légers pans inclinés, ceux-ci orientant naturellement vers l’entrée du complexe. Le sol de la place principalement minéral est réalisé en granit du Tarn et pierre de lave de Bouzentès.

Respectant les gabarits des bâtiments existants, les angles de la place restent libres et ouverts, laissant le regard du promeneur découvrir, au sud-ouest et au nord-est, les lignes libres et vertes d’un « grand paysage » particulièrement attractif ici. L’inscription dans ces gabarits d’origine, relativement étroits, a ainsi conduit les architectes vers un bâti dense où les salles sont superposées. Cette typologie est atypique pour un multiplexe qui s’organise généralement de plain- pied. Elle présentait en revanche deux avantages : celui de préserver un bel espace pour la place Michel Crespin, et, en second lieu, de réduire les surfaces enterrées nécessitant la mise en œuvre coûteuse de parois étanchées du fait de la présence de la Jordane à proximité du site.  

L’implantation sur plusieurs niveaux du complexe cinématographique a permis de libérer une vaste place à l’avant de l’équipement
L’implantation sur plusieurs niveaux du complexe cinématographique a permis de libérer une vaste place à l’avant de l’équipement

Dans la continuité de l’axe

Avec cette implantation urbaine, le positionnement du hall est venu tout naturellement et s’inscrit dans le prolongement de l’axe qui conduisait à l’origine de la rue du Caylus au bâtiment de l’Horloge. Les architectes l’ont marqué et mis en valeur par une transparence non seulement visuelle, mais aussi physique, avec un double accès depuis la place, mais aussi de la rue, 3 m plus haut.

Traversant, le hall devient prolongement intérieur de la rue comme de la place, et on imagine très bien, l’été, les différentes manifestations qui profitent de cette continuité intérieur-extérieur. Ce hall toute hauteur joue un rôle important. Il distribue l’ensemble des salles, des locaux administratifs ou servants et s’anime des va-et-vient des spectateurs entre les séances.

Le bâtiment s’organise sur trois niveaux au-dessus du rez-de-chaussée. Seuls le deuxième niveau et le rez-de-chaussée sont accessibles au public et reçoivent 7 salles au total, avec 2 grandes salles au rez-de-chaussée, et 5 autres à l’étage supérieur. Au total, ce sont 1 043 fauteuils qui sont répartis dans des salles allant de 80 à 300 places.

Le nouvel équipement occupe le côté ouest de la place Michel Crespin.
Le nouvel équipement occupe le côté ouest de la place Michel Crespin.

Le premier et le dernier niveau sont réservés au service avec respectivement locaux de
l’administration et salles de projection. Les ambiances intérieures ont fait l’objet d’une attention particulière. Inattendu, d’abord, ce hall toute hauteur et baigné d’une belle lumière qui accompagne l’accès à chacune des salles. Ici, aucun couloir obscur mais de larges coursives éclairées naturellement et suspendues au-dessus du hall. 

Chaque salle, enfin, a fait l’objet d’un thème et d’une mise en couleur spécifiques jouant soit sur l’alternance de couleur ou au contraire le camaïeu.

Exprimer le mouvement

Compact et efficace dans son fonctionnement, le volume est expressif dans sa forme. Le complexe cinématographique est traité en béton armé pour des raisons à la fois technique, acoustique et économique. 

Les salles sont réalisées en volumes successifs. Chaque salle compose un parallélépipède de béton aux dimensions spécifiques. Le tout constitue une volumétrie aux contours irréguliers. « Pour dessiner un ensemble architectural cohérent, nous avons habillé l’ensemble des salles d’une peau qui s’infléchit en fonction de la volumétrie irrégulière des différentes salles successives, ce qui donne au bâtiment son expression atypique et événementielle », développe le concepteur. Cette peau posée sur une charpente métallique constitue une façade à facettes qui habille le décalage des volumes des salles et engendre un « prisme », comme une roche, d’où son nom : le Cristal.

Le hall toute hauteur est baigné d’une belle lumière qui accompagne l’accès des spectateurs à chacune des salles. Ici, ce sont de larges coursives éclairées naturellement et suspendues au-dessus du hall qui mènent jusqu’aux salles
Le hall toute hauteur est baigné d’une belle lumière qui accompagne l’accès des spectateurs à chacune des salles. Ici, ce sont de larges coursives éclairées naturellement et suspendues au-dessus du hall qui mènent jusqu’aux salles

Le bâtiment devient vibration de facettes jouant avec l’éclairage diurne ou nocturne et ses ombres changeantes et mouvantes et faisant écho à la notion de mouvement, inhérente au cinéma. De nuit, les angles changeants des pans coupés réfléchissent l’éclairage intérieur de façon aléatoire et renforcent la dimension événementielle de l’équipement.

Ce prisme alterne les parties pleines traitées en panneaux CCV, vitrées sur l’intérieur ou en métal déployées sur les pignons, laissant entrevoir les escaliers de sorties de salles. 

Les panneaux CCV mesurent pour la plupart 3 m de large par 1,80 m de haut et ont une épaisseur de 18 mm. Les raidisseurs sont réalisés par des bandes armées de 10 cm d’épaisseur situées en parties hautes et basses de chaque panneau. Les dimensions des autres panneaux s’adaptent aux facettes de la forme prismatique, petits exercices successifs de stéréotomie !

Le hall traversant devient le prolongement intérieur de la rue comme de la place, engendrant un nouvel élément de liaison urbaine.
Le hall traversant devient le prolongement intérieur de la rue comme de la place, engendrant un nouvel élément de liaison urbaine.

Respect de l’environnement

La qualité environnementale du complexe a également fait l’objet d’un travail particulier. Le bâtiment atteint ainsi un niveau THPE (très haute performance énergétique). Les économies d’énergie ont ainsi fait l’objet d’un travail spécifique pour limiter les consommations du bâtiment. Cette recherche s’est appuyée sur plusieurs éléments, parmi lesquels l’accès à l’éclairage naturel dans les espaces communs de distribution, au niveau du hall et des circulations horizontales, qui a permis d’éviter toutes les dépenses liées à l’éclairage artificiel. 

Le choix d’un matériau à forte inertie comme le béton contribue activement au confort. La nature de l’équipement veut que la problématique thermique concerne plus le rafraîchissement des salles que le chauffage. 

Le béton est laissé apparent sur de grandes surfaces intérieures, ce qui participe à l’inertie du bâtiment. La peau de panneaux CCV protège de l’ensoleillement direct les parties du complexe cinématographique isolées par l’extérieur. Ceci concourt à la performance énergétique et à la durabilité de l’isolation. Les vitrages mis en œuvre sont très isolants. Enfin, hiver comme été, chauffage ou rafraîchissement sont assurés par des pompes à chaleur air/air intégrant le système free-cooling. Jolie démonstration d’un savoir-vivre architectural qui unit respect de l’environnement, qualité architecturale et urbanité. 

Reportage photos : Hervé ABBADIE

Maître d’ouvrage : Ville d’Aurillac – Maître d’œuvre : Linéaire A – Castelbajac/Deby/Makarem, architectes mandataires ; Randja-Farid Azib, architecte associé – BET TCE : Sibeo – BE acoustique : Peutz – Entreprise gros œuvre : Soulier – Préfabricant : Betsinor – Surface : cinéma 2 850 m2 SHON ; places 4 000 m2 Coût : 7,2 M€ HT (cinéma), 1,1 M€ HT (aménagement place) – Programme : multiplexe de 7 salles et aménagement de la place Michel Crespin.



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