La route est désormais protégée et contenue par de nouveaux soutènements en béton : un mur poids et un ouvrage hydraulique préfabriqué.

Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020, les vallées de la Vésubie, de la Tinée, de la Roya et dans une moindre mesure celle de l’Estéron ont été touchées par une catastrophe naturelle d’une ampleur telle qu’elle dépasse celle d’une crue centennale. Le bilan matériel et humain fut très lourd – 10 morts, 8 disparus, plus de 200 brèches recensées sur 70 km de routes départementales. Dans la seule vallée de la Roya, ce furent un million de mètres cubes de matériaux déplacés, des infrastructures routières et des ponts pulvérisés, isolant le village de Castérino au bout de la RD 91 et coupant totalement la RD 6204 entre Breil-sur-Roya et Tende, rendant impossible l’accès au nord de la vallée jusqu’à la frontière italienne. La cellule de crise mise en place par la préfecture et le conseil départemental a eu pour premier objectif d’établir des accès provisoires pour les riverains et l’approvisionnement nécessaire aux travaux. 

À Fontan, les brèches n° 19 et n° 20 sur la RD 6204, emportée sur 150 ml.

Reconstruire vite et mieux

Dirigée jusqu’en septembre 2022 par Guillaume Chauvin, la mission Reconstruction de la Roya pilote et coordonne les travaux avec l’ambitieuse volonté de reconstruire vite et mieux. Le principe de réalité – urgence, conditions météorologiques d’altitude, absence d’infrastructures pour l’approvisionnement logistique, encaissement profond de la vallée et faibles emprises de travail – amène la mission à faire des choix pragmatiques. « Les routes ont été reconstruites là où elles étaient en rectifiant le tracé selon les affleurements rocheux et les verrous hydrauliques, explique Guillaume Chauvin. D’autres paramètres de résilience ont été améliorés : redimensionnement des ouvrages d’art pour accroître leur résistance structurelle, modification de tous les ouvrages hydrauliques, renouvellement et enfouissement des réseaux, augmentation du gabarit hydraulique en surélevant de 20 à 25 % les Ouvrages d’Art et en supprimant les fruits pour laisser place à des murs verticaux. »

Enfin, après un inventaire exhaustif des dégâts sur le terrain, le conseil départemental a utilisé la procédure des marchés négociés pour gagner du temps. 

Saorge, RD 6204. Brèche n° 12 : réalisation d’un mur cantilever en béton coulé en place.

Les difficultés logistiques

Pendant plusieurs semaines, plusieurs facteurs ont interdit tout passage terrestre ou ferroviaire. Seule la voie des airs permettait de porter secours aux populations enclavées et d’assurer le ravitaillement. 

Saorge, RD 6204. Brèche n° 12 : réalisation d’un mur cantilever en béton coulé en place.

Restait en outre un problème essentiel : la difficulté d’acheminer les matériaux et les matériels nécessaires aux chantiers. Les centrales à béton les plus proches se trouvaient à Menton ou en Italie, soit deux heures de transport, c’est-à-dire, au mieux, deux rotations par jour en toupie. D’où la difficulté d’approvisionner un béton structurel de qualité ou de développer une cohérence esthétique des parements.

Pour pallier cette contrainte majeure, la mission choisit de recycler dans les chantiers de reconstruction tous les matériaux provenant des glissements de terrain, des bâtiments et des Ouvrages d’Art détruits (360 000 t). Ils ont ainsi permis un gain de temps et de moyens, donc de coût, en optimisant l’avancement des travaux et en limitant l’empreinte carbone. 

Autre problématique : trouver une solution technique pour permettre aux groupements d’entreprises de traiter 50 à 60 chantiers de front. Pour ce faire, la mission Reconstruction décline un carnet des solutions techniques de soutènement selon la nature des brèches.

RD 91. Reconstruction des lacets du lac des Mesches avec des murs en remblais renforcés en RediRock® pour garantir une esthétique soignée.

Béton liquide ou béton solide ?

Les travaux étaient soumis à de multiples paramètres : la distance – donc les cadences d’approvisionnement –, la longueur des brèches – donc le nombre de rotations –, l’encaissement de la vallée, le contexte géotechnique, l’altitude – des conditions météorologiques défavorables qui imposaient l’arrêt d’un chantier, impensable ! C’est pourquoi la préfabrication a été surtout utilisée en fond de la vallée, au nord. « Même si elle nécessite une préparation, notamment la réalisation des assises, la préfabrication présente de nombreux avantages, précise Timothée Eggen : elle réduit l’impact sur le cours d’eau (bétonnage uniquement pour les assises), fait gagner du temps, permet de travailler durant la période hivernale et s’adapte à tous types de sol. » 

Quant au béton coulé en place, plus ou moins structurel, il fut d’abord acheminé par toupies depuis Menton (Vicat) et l’Italie, puis à partir de juin 2021 par une centrale à béton (Vicat) installée à Breil-sur-Roya.

RD 91. Brèches n° 2 et 3 : réalisation d’un mur cantilever en béton coulé en place (8 m de haut) surmonté d’un deuxième mur en ModBloc® (mur poids en blocs béton préfabriqués).

Les différentes techniques de soutènement 

Les brèches sont appelées « simples » quand un pan de la route est emporté ; d’autres sont dites « complexes » quand la nature des travaux imposait des coupures ponctuelles de la circulation. « En réalité, toutes les brèches étaient des chantiers ordinaires, mais leur multiplicité a grandement complexifié les opérations, ajoute Timothée Eggen. C’est pourquoi nous avons décliné plusieurs techniques de soutènement. »  

Utilisés notamment sur les brèches 7 et 8, les murs AD/OC® (brevet NGE) sont des parois clouées combinées avec des éléments préfabriqués en béton armé en forme de pointe de diamant servant de parement de la paroi en continu. Chaque module est ancré au substratum rocheux par le biais d’une barre d’ancrage puis liaisonné avec les autres. Un matériau granulaire drainant de type ballast vient ensuite combler l’interface entre le substratum rocheux et le parement. Constituée de plusieurs centaines d’écailles, la surface de la brèche 7 (465 m) est à ce jour la plus grande superficie réalisée au monde.

RD 6204. Réalisation d’une paroi AD/OC® et d’une paroi clouée en béton projeté pour la brèche 18b.

Technique la plus courante (brèches 11, 12, 13), les murs en béton armé, également appelés murs cantilever ou murs en L (semelle et voile), sont réalisés avec du béton coulé en place.

Vu l’éloignement des centrales à béton, le béton arrivait parfois très ferme. La solution hybride des murs poids mixe ce béton non structurel, qui sert à lester le mur et à apporter la stabilité du soutènement, avec des écailles préfabriquées pour l’esthétique du parement (brèches 19, 20, 21, 25, 26, 27 et bien d’autres encore). Pour garantir une esthétique soignée au niveau des lacets du lac des Mesches (RD 91), les murs de la brèche 21 ont utilisé des parements RediRock®.

Mur Chapsol pour la brèche n° 72.

Dans les gorges de Paganin, la RD 6204 est très encaissée sur 5 km de long entre Fontan et Saint-Dalmas de Tende. Dotée d’une configuration très spéciale, elle a été complètement détruite et présentait trois brèches complexes – 22, 24 et 29 – au nord. Recourant à toutes les typologies de soutènement, la reconstruction de ce tronçon a été particulièrement difficile en raison de son encaissement. Tirant parti des rochers affleurants en pied de brèche, dans lesquels des ancrages verticaux sont implantés avant d’armer le mur et de couler le béton, la technique du mur ancré au rocher a été souvent utilisée dans cette portion de route comme dans certains tronçons au nord de Tende.

La technique des parois clouées en béton projeté (brèches 39, 40 et 41) consiste à propulser le béton sous forme de jet. Cette technique traditionnelle permet de réaliser les formes les plus complexes ou difficiles d’accès.

Les murs Chapsol sont des murs en L entièrement préfabriqués en usine, associés à des écailles préfabriquées en béton de type Chapsol. En raison de l’éloignement et de l’altitude, ils ont été principalement réalisés au nord de Tende (brèches 72, 73, 74, 75) et un peu au sud pour continuer les travaux au cours de l’hiver 2021/2022.  

Mur poids en écailles préfabriquées pour la brèche n° 19.

Brèches complexes

Très impactée, la RD 91 est une petite route de montagne qui relie Saint-Dalmas de Tende à Castérino, 12 km plus haut, à 1 520 m d’altitude. Ici, plusieurs glissements ont occasionné une cinquantaine de brèches qui ont complètement détruit des portions de route. Toutes ont été reconstruites en recourant à diverses techniques. À brèche complexe, méthodologie adaptée. L’exemple de la brèche 39 montre combien le mot « complexe » n’est pas abusif. Compte tenu de la raideur des pentes et de l’exiguïté en fond de vallée, la réalité imposait de positionner la piste provisoire à l’emplacement du mur de soutènement. On mesure la difficulté de réaliser un soutènement sur une minuscule emprise avec des véhicules qui passent régulièrement à l’endroit même du chantier. Il a donc fallu organiser une opération « coup de poing » qui consistait à couper la circulation pendant 72 h, le temps de construire un premier mur de soutènement provisoire. Pour ce faire, le groupement d’entreprises du marché d’urgence a mis en place des moyens humains et matériels considérables qui travaillaient nuit et jour (3 x 8). Ce mur provisoire, qui servait à rétablir la circulation à court terme, est aujourd’hui sous la route. Le soutènement définitif a été réalisé en paroi clouée en béton projeté pour conforter l’ouvrage provisoire.

Paroi clouée, brèche n° 40.

Galerie paravalanche

La même RD 91 présentait un risque élevé de chutes de blocs, notamment au niveau de la brèche béante 25, éventrée sur 60 m de long. Pour se prémunir vis-à-vis des écoulements, la mission lance un marché de conception-réalisation d’une galerie paravalanche réalisée par NGE GC. En raison du contexte (faible emprise chantier, topographie, altitude, distance, éboulements…), cet ouvrage combine l’usage d’éléments préfabriqués (butons parasismiques, poutres aux extrémités de la traverse supérieure…) et du béton coulé en place. Cette hybridation a permis de gagner un mois de délai sur le planning de réalisation. Structurellement, la galerie est bordée en amont et en aval par deux murs de soutènement, l’un et l’autre reposant sur des longrines préfondées sur micropieux. Des poteaux soutiennent la traverse supérieure qui protège la route des chutes de blocs.

Paravalanche RD 91. La galerie paravalanche combine des éléments préfabriqués et du béton coulé en place.

Parachèvement de la reconstruction

L’accès routier au village de Castérino a été de nouveau ouvert à la circulation le 16 décembre 2022.

Fin 2022, les routes étaient exploitables et la circulation rétablie grâce à l’implication de la mission et de ses partenaires. Si tous les matériaux ont été utiles, l’industrie du béton a montré sa capacité à répondre à des travaux d’urgence en termes de réactivité et de solutions techniques. 

Restent à construire deux grands ouvrages à Tende – le pont des 14 Arches et le pont du Bourg-Neuf – dont la livraison est prévue à l’horizon 2024. Ces ponts permettront le rétablissement total des infrastructures routières de la vallée de la Roya. 

 


3 questions à

Timothée Eggen, à l’origine ingénieur étude à la mission Reconstruction de la Roya puis responsable de la mission Reconstruction depuis décembre 2022.

Vous avez décidé de reconstruire vite et mieux. Que signifie « mieux » ?

Après avoir réalisé l’inventaire des dégâts, nous nous sommes évertués à trouver les solutions les plus pérennes pour les décennies à venir. On sait en effet qu’avec le dérèglement climatique, des catastrophes de cette ampleur vont se reproduire, d’autant que la tempête Alex a engendré des glissements de terrain qui se sont agglomérés en amont des bassins versants et qu’ils seront amenés à bouger lors des prochaines crues. Nous avons donc saisi cette opportunité pour concevoir les ouvrages les plus résilients possible, que ce soit dans leur implantation, dans leur dimensionnement, dans la nature des matériaux employés, dans leurs caractéristiques mécaniques ou dans le choix des techniques. 

Les techniques justement. Vous avez entériné plusieurs modes opératoires. Pour quelles raisons ?

Pour deux raisons principales. La première est qu’il fallait adapter les techniques à plusieurs facteurs : le contexte géotechnique, l’emplacement de la brèche, les conditions météorologiques… La seconde, c’est qu’on ne pouvait pas adopter une seule technique en raison du nombre de chantiers et d’entreprises. Cela n’aurait pas été efficace. Travailler selon plusieurs techniques avec différents matériaux a permis de multiplier les interventions. Outre les ouvrages hydrauliques et la galerie paravalanche, le béton dans tous ses états a été indispensable pour reconstruire tous les murs de soutènement de la vallée.  

Comment les entreprises ont-elles travaillé ensemble ?

Chaque entreprise de travaux publics se chargeait du chantier qui lui était alloti. Cela nous a demandé un gros travail d’organisation logistique pour approvisionner les matériaux nécessaires selon les solutions techniques adoptées pour chaque brèche. Nous avons par ailleurs cherché à faciliter les interventions des concessionnaires par une logique de coconstruction avec nos partenaires. Nous avons fait en sorte que tous les opérateurs se sentent concernés par l’effort de reconstruction de manière à travailler en bonne intelligence pour atteindre l’objectif principal : reconstruire vite et mieux.


 

Chiffres clés

  • Plus de 200 brèches, 50 km en cumulé de routes départementales reconstruites (sur la Roya) 
  • 200 ouvriers aux côtés des agents départementaux 
  • 200 chantiers engagés depuis le 2 octobre 2020
  • 22 mois de travaux, 300 000 h de travail
  • Environ 50 km d’ancrages pour les parois clouées (type AD/OC® ou béton projeté)
  • Environ 55 000 m3 de béton hors ouvrages préfabriqués
  • Environ 365 000 t de matériaux granulaires traités et réutilisés pour le remblaiement des ouvrages de soutènement
  • Environ 25 000 m2 de soutènements réalisés, toutes techniques confondues

Choix des bétons

  • Ouvrages structurels, soumis aux projections d’agents de déverglaçage : classe de résistance C35/45, classes d’exposition XD3, XF2 et XC4
  • Murs : classe de résistance C30/37, classes d’exposition XC4, XF2
  • Murs poids : classe de résistance C20/25 pour les bétons de lestage

Galerie paravalanche

  • Béton : 660 m3  
  • Armatures HA : 120 t 
  • Micropieux : 520 ml
  • Barres d’ancrage : 1 404 ml
  • Coût : 5,2 M€ TTC

Fiche technique

Reportage photos : © Florent Adamo/CD06 ; Cd06

  • Pilotage et coordination des travaux : mission Reconstruction de la Roya du Département 
  • 20 entreprises de travaux publics : dont Tama (mandataire du groupement d’urgence), Garelli, La Nouvelle Sirolaise, Masala, Nativi, Razel-Bec, TP Spada, NGE Fondation, Fil à Plomb, Agilis, Pastorelli, Gagneraud, SMBTP, EMGC 
  • Coût des travaux à ce jour : 180 M€ HT.



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