Un bassin « olympique » pour assainir la Seine
À proximité de la gare d’Austerlitz, un ouvrage de génie civil hors norme joue un rôle clé dans la reconquête de la « baignabilité » du fleuve.

Le 31 juillet 2024, lors des Jeux olympiques Paris 2024, les premiers athlètes du triathlon s’élançaient dans la Seine. Un événement inédit et longtemps impensable, car depuis près d’un siècle la baignade était strictement interdite dans le fleuve.
Un bassin de 46 000 m³ au cœur de Paris
Pour changer la donne, la Ville de Paris, l’État et des collectivités franciliennes avaient engagé en 2015 un vaste programme d’assainissement de la capitale – le plan baignade – dont l’un des objectifs visait à réduire les rejets d’eaux usées dans le fleuve à hauteur de 75 %. En effet, lors des fortes pluies les collecteurs saturaient rapidement, du fait du caractère unitaire du réseau d’assainissement où eaux pluviales et eaux usées circulaient dans les mêmes canalisations. Ces débordements entraînaient des déversements directs dans le fleuve, dégradant fortement sa qualité – rendant de fait toute baignade impossible.

Pour supprimer ce risque, il a été décidé de créer un dispositif tampon – un bassin de stockage-restitution hors norme – capable de stocker temporairement les eaux mixtes excédentaires en amont du Trocadéro lors des épisodes orageux, avant leur réacheminement vers les stations d’épuration. Inédit par son implantation en plein cœur de la capitale, à proximité immédiate de la gare d’Austerlitz, et exceptionnel par ses dimensions – 50 m de diamètre pour un volume utile de 46 000 m –, cet ouvrage enterré est formé par une paroi moulée cylindrique ancrée à 62 m de profondeur.
Mais comment le bassin se remplit-il ? Lors d’épisodes pluvieux intenses, les eaux usées et pluviales sont interceptées par deux puits de récupération implantés de part et d’autre de la Seine, à proximité du pont d’Austerlitz. Grâce au principe des vases communicants, ces effluents sont ensuite dirigés par gravité vers le bassin de stockage via un collecteur souterrain de plus de 600 m de longueur, creusé sous le fleuve à l’aide d’un micro-tunnelier.
Un contexte urbain dense et sensible
Ce fonctionnement apparemment simple repose sur une conception et une réalisation complexes, en raison du contexte extrêmement dense de ce secteur du centre de Paris. L’implantation du bassin a ainsi dû être prévue à quelques mètres seulement des fondations du viaduc du métro aérien.
« Avant le démarrage du creusement, les équipes ont procédé à une auscultation très fine de l’existant, afin d’anticiper et de maîtriser les phénomènes de tassement susceptibles d’affecter les ouvrages voisins », expose Tony Pereira Correia, directeur d’exploitation de l’agence France-Nord de Soletanche Bachy et directeur des fondations sur ce chantier.
Autre contrainte majeure : la proximité immédiate des habitations, qui imposait de limiter autant que possible les nuisances générées par le chantier. Afin de réduire les impacts sonores et vibratoires, une solution technique inédite en France a été mobilisée : l’emploi d’une Hydrofraise® électrique – engin de forage utilisé pour creuser des parois moulées en terrain dur – pour la réalisation des parois moulées. Moins bruyante que son équivalente thermique, générant largement moins de vibrations, « elle a permis de réduire significativement les nuisances ressenties en surface, notamment une atténuation sonore de 15 % », assure Tony Pereira Correia.

Des fondations optimisées
Mais c’est sûrement du côté des fondations du bassin que se trouve le plus grand exploit technique du chantier. Lorsque le bassin est plein, le poids de l’eau exerce une pression suffisante pour contrebalancer la poussée hydrostatique de la nappe phréatique. En revanche, lorsque le bassin est vide – ce qui est sa configuration normale en dehors des épisodes pluvieux, – cette poussée vers le haut n’est plus compensée, « ce qui crée un risque de soulèvement, voire de basculement de l’ouvrage », relève Tony Pereira Correia. C’est pourquoi des fondations profondes étaient nécessaires sous le radier du bassin afin de garantir la stabilité structurelle de l’ouvrage en toutes circonstances. Le système de fondation initialement prévu combinait des micropieux et des barrettes, « une solution techniquement réalisable, mais dont les délais de mise en œuvre auraient été trop longs au regard des échéances olympiques », explique Tony Pereira Correia. Soletanche Bachy a donc proposé une solution plus sobre et plus rapide : conserver uniquement les barrettes, en en augmentant le nombre et sans recourir aux micropieux. Pour valider cette solution optimisée, un test de chargement a été réalisé sur une barrette d’essai – une première en France sur ce type d’ouvrage – et permis ainsi de déterminer précisément la profondeur optimale à atteindre, conduisant à une réduction de 30 % de la longueur des barrettes par rapport aux prescriptions normatives. Cette optimisation structurelle s’est également traduite par un gain environnemental significatif, en contribuant, avec d’autres mesures comme l’utilisation de bétons bas carbone (cf. encadré ci-contre), l’emploi de l’Hydrofraise® électrique et l’évacuation fluviale des déblais, à réduire de 36 % les émissions globales équivalent CO2 du chantier.

Un tunnel en S sous la Seine et sous pression
Pour raccorder le bassin de stockage aux réseaux existants et collecter les effluents provenant des deux rives de la Seine, un collecteur de 620 m de longueur a été creusé sous le fleuve. Ce tunnel, percé à l’aide d’un micro-tunnelier à pression de boue, devait relever plusieurs défis simultanés : s’insérer dans un tissu urbain dense, contourner des ouvrages en service (métro, RER, fondations d’immeuble), suivre un tracé sinueux en double courbe serrée… et être livré dans un délai particulièrement contraint. Des autorisations spécifiques ont été nécessaires, accompagnées d’un monitoring en temps réel pour contrôler les tassements.

« Afin d’éviter tout impact sur les infrastructures existantes, le tracé en S a été conçu de manière à rester dans le domaine public, ce qui a nécessité une maîtrise millimétrée du pilotage en courbe », commente Nicolas Kolodkine, directeur d’exploitation de Bessac, filiale de Soletanche Bachy. La progression s’est faite par cycles de poussée successifs : quatre vérins installés dans un puits d’attaque propulsaient la machine et les éléments de revêtement – d’imposants tuyaux préfabriqués en béton armé, 11 t pour 2 m de longueur et 3 m de diamètre extérieur. « Pour garantir l’étanchéité dans les zones courbes, les jonctions intégraient des joints hydrogonflants, capables de s’adapter aux variations d’angle entre les éléments », précise-t-il.
L’ensemble du fonçage, mené en six mois au cours d’un chantier actif 24 h/24 et 7 j/7, s’est déroulé à 25 m de profondeur, en pleine nappe phréatique, avec un système de marinage permettant de stabiliser le front de taille et d’évacuer les déblais. Malgré ces conditions complexes, grâce à l’expertise des équipes, la précision du système de guidage et les corrections topographiques régulières, « le bouclage du tunnel s’est fait à moins d’un centimètre près ! », se félicite le directeur d’exploitation.
Au final, ce projet souterrain invisible en surface, livré juste avant les JO 2024 à l’issue d’un chantier de quarante mois mené tambour battant, jouera durablement un rôle clé dans le dispositif d’assainissement de la Seine, bien au-delà de l’échéance olympique.

Des bétons robustes… et sobres en carbone
Résistance mécanique, durabilité, étanchéité, insensibilité aux effluents, mais aussi conformité aux exigences environnementales du projet… : les bétons employés pour les différents ouvrages du chantier du bassin d’Austerlitz devaient répondre à un cahier des charges particulièrement ambitieux.
Pour les parois moulées et les barrettes, les équipes ont choisi un béton bas carbone, conforme à la stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre du projet. Formulé avec un liant de type CEM III, intégrant une part importante de laitier de haut fourneau, ce béton de classe de résistance C40/50 et de classe d’exposition XA3 (résistance aux fortes agressions chimiques) permettait de réduire significativement l’empreinte carbone tout en répondant aux exigences de résistance et d’étanchéité imposées par la présence de la nappe phréatique.
Côté tunnel, les tuyaux en béton armé préfabriqués en usine utilisés pour le revêtement du collecteur ont également fait l’objet d’un choix rigoureux. Constitués d’un béton C50/60 également à base de ciment de type CEM III et de classe d’exposition XA3 adaptée aux conditions agressives dues aux effluents transitant dans la conduite, les 310 tuyaux étaient dimensionnés pour résister à une pression hydrostatique de 2,3 bars, avec une double nappe d’armatures (soit 240 kg d’acier par mètre linéaire) et un enrobage de 5 cm. En tout, les formulations bas carbone des bétons ont permis de réduire de 1 300 t les émissions équivalent CO2 du projet.
Localiser la réalisation
Reportage photo : © Bessac – H. Piraud, © Soletanche Bachy-C.Helsly, © Nicolas Vercellino
Fiche technique
- Maître d’ouvrage : Ville de Paris
- Maître d’œuvre : Prolog Ingénierie (mandataire) et Artelia
- Titulaire du marché de travaux : groupement Impluvium, réunissant Urbaine de Travaux (mandataire) et Sade pour le génie civil, Soletanche Bachy France et Sefi-Intrafor pour les fondations, et Bessac pour le collecteur
- Fournisseur ciment et béton du bassin : Cemex.
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