Décollé du sol, le bâtiment répond aux risques inondation des bords de marne.

Frank Salama ne se lasse pas de concevoir des maisons individuelles. Après en avoir dessiné plus d’une soixantaine, dont une dizaine actuellement en cours de réalisation, il s’est attaché à ce programme sans en faire une spécialité, en le combinant à des opérations de logements collectifs et d’équipements publics.

Par rapport au paysage

Sans doute trouve-t-il dans cette activité un terrain favorable à l’expression de sa passion pour le Japon. De ses multiples voyages au pays du Levant, il a retenu l’extrême sophistication de l’approche du logement, mais aussi une inspiration qui étoffe et contrebalance l’enseignement basé sur la modernité occidentale qu’il a suivi à l’école de Paris Belleville dans l’atelier d’Henri Ciriani. « Là-bas, la maison est considérée à l’égal du temple, sans différence stylistique. C’est un lieu avec lequel les gens entretiennent une relation quasi spirituelle », explique-t-il. Soucieux de réunir deux cultures en apparence opposées, il s’attache à trouver des points de convergence en composant des espaces porteurs d’une certaine universalité représentée par la prise en compte des éléments premiers : l’eau, le vent, le feu...

Cette recherche ne se manifeste pas sous la forme d’astuces stylistiques ou d’un maniérisme formel mais par une démarche de conception fondée sur le rapport au paysage. Un paysage multiple, proche et lointain, combinant la soif de panoramas et de points de vue propre aux Occidentaux et les proximités recherchées au Japon, « pays de forêt et d’intimité où la relation à la nature est avant tout intime, quasiment tactile ».

Le rez-de-chaussée est consacré à la piscine, au stationnement sous dalle ainsi qu’aux locaux techniques. les espaces habitables sont aménagés à l’étage.
Le rez-de-chaussée est consacré à la piscine, au stationnement sous dalle ainsi qu’aux locaux techniques. les espaces habitables sont aménagés à l’étage.

Usages et espaces

De cette pluralité naît une problématique : l’expression du lieu par la mise en situation des pratiques quotidiennes. Autrement dit, la prise en compte du contexte en fonction des usages. Les questions sont donc simples et de bon sens : où s’attabler pour manger, où s’asseoir pour lire ou se plonger dans les écrans, où s’allonger pour se reposer... ? En un mot, comment disposer les lieux de la maison pour englober l’intérieur et l’extérieur dans un même système spatial ?

Frank Salama propose ses réponses avec la tranquillité du convaincu : « La dimension des pièces ne se limite pas à l’emprise des meubles et de leurs équipements principaux. Au contraire, elle se définit par le champ visuel qui s’offre au regard », des éléments intérieurs les plus proches jusqu’aux frondaisons lointaines. En l’occurrence, il s’emploie à mettre en scène le paysage en multipliant les situations et les approches au gré des parcours des occupants, de manière frontale, détournée, en diagonale, par surprise.

Ainsi, l’architecture s’éloigne d’une composition sculpturale pour se concentrer sur l’installation d’usages que des plans verticaux et horizontaux mettent à distance et organisent les uns par rapport aux autres dans un tout fragmenté. De cette confrontation entre les pratiques et l’esprit des lieux naît une prise de recul, formidable contrepoint à la conception classique de la maison occidentale, qu’une fois de plus, il met en œuvre à Saint-Maur-des-Fossés.

Lors de la commande, le terrain de départ n’est qu’une parcelle de 800 m², issue d’une division foncière comme il s’en multiplie actuellement dans les périphéries. La parcelle est occupée par une piscine, héritée de la maison voisine. Aux alentours, le quartier est résidentiel et caractéristique des bords de Marne. La proximité de la rivière présente des avantages, mais aussi des risques que cristallise le plan d’exposition aux risques inondation en interdisant l’implantation de toute surface habitable à moins de deux mètres au-dessus du niveau du sol. La question du plain-pied est donc réglée : la maison sera surélevée et le rez-de-chaussée consacré au garage sous dalle, à une pièce extérieure en lien avec la piscine ainsi qu’aux locaux techniques.

Décollée du sol

Cette architecture n’est pas sans évoquer le courant moderne et des souvenirs corbuséens de maisons sur pilotis et d’enveloppe en béton peint en blanc. Depuis la rue, une clôture opaque pose une distance avec ce monolithe immaculé dont la perspective semble se transformer en fonction du point de vue. Il faut franchir ce premier filtre pour découvrir l’escalier extérieur conduisant au premier étage, supporté par deux boîtes revêtues d’inox et quelques refends de béton. L’effet de lévitation est parfait, le béton discret, la prouesse technique invisible et pourtant, qui supposerait les forces en présence dans ces porte-à-faux de près de 2 m, sans lesquels le regard buterait sur la matière au lieu de se perdre dans les reflets de la piscine préservée au fond du jardin ?

À l’étage, deux volumes partitionnent l’espace habitable. Un premier, longiligne, bardé de bois rétifié, occupe la longueur du bâtiment. Il abrite le bureau, les chambres, la salle de bains. Un autre, plus compact, isole la cuisine du séjour. Un plan incliné couvre l’ensemble de la maison en hiérarchisant les différentes pièces avec une économie de moyens et une efficacité similaires.

Générant des hauteurs sous plafond variant de 2,30 m, dans le couloir de distribution qui longe la façade est, à 3,60 m à l’ouest du séjour, cette formule permet aussi de régler poliment la proximité avec la propriété voisine en offrant un vis-à-vis minimum et la vue sur une toiture végétalisée.

Pour en savoir plus, il faut visiter. Emprunter l’escalier d’accès, comprendre la faille qui traverse la maison de part en part et permet l’enchaînement des espaces. Développées depuis le seuil extérieur, les marches mènent jusqu’au hall intérieur que couvre une toiture en verre, puis, elles se prolongent par un patio inaccessible où une microrivière coule parmi les mousses.

L’enveloppe de béton coulé en place filtre les relations intérieur- extérieur (déplacements, vues, ensoleillement...).
L’enveloppe de béton coulé en place filtre les relations intérieur- extérieur (déplacements, vues, ensoleillement...).
L’enveloppe de béton coulé en place filtre les relations intérieur- extérieur (déplacements, vues, ensoleillement...).
L’enveloppe de béton coulé en place filtre les relations intérieur- extérieur (déplacements, vues, ensoleillement...).

Angles de vue multiples

Finalement, ce parcours visuel qui structure l’habitation donne sur un balcon avant de redescendre vers la piscine dont le bassin redimensionné révèle la géométrie du projet. « Le pont flottant des songes », dit l’architecte en se référant aux estampes japonaises pour parler de cette zone d’entre-deux où se mêlent le dedans et le dehors, qu’on ne peut parcourir mais qui subjugue les occupants au point de rendre imperceptibles les décalages de trame dirigeant le plan. Car, si à l’intérieur les parois paraissent dressées à l’orthogonale, cette faille est en réalité disposée en diagonale.

Reste à évoluer dans ce paysage bâti, en profitant de la tiédeur du plancher chauffant. Alimenté par une pompe à chaleur, ce chauffage par le sol est associé à une isolation des murs par l’intérieur et aux orientations pertinentes des vitrages qui permettent de répondre à la RT 2012 car la plus subtile poésie ne serait rien sans la qualité de l’usage. On peut donc confortablement déambuler dans les pièces en profitant des angles de vue multiples, à l’instar de la salle d’eau qui ouvre sur le jardin et sur le patio intérieur sans qu’aucun regard extérieur ne puisse déranger l’intimité de ceux qui se relaxent dans le bain : discrétion de l’Orient.

À l’intérieur, l’alternance de surfaces opaques, réfléchissantes ou transparentes multiplie les effets d’ombre et de lumière.
À l’intérieur, l’alternance de surfaces opaques, réfléchissantes ou transparentes multiplie les effets d’ombre et de lumière.
La finesse des plans verticaux et horizontaux magnifie l’enveloppe de béton.
La finesse des plans verticaux et horizontaux magnifie l’enveloppe de béton.

Variations

L’enveloppe est ainsi conçue tel un filtre de béton coulé en place dont la plasticité est mise à profit pour sélectionner les vues, les choisir presque par défaut, en gommant les obstacles indésirables comme dans le séjour où la mitoyenneté a imposé un grand mur contre lequel sont disposées la télévision et la cheminée. Son orientation par rapport au soleil est exploitée par des ouvertures en imposte dont les persiennes laissent passer la lumière naturelle qui se projette sur les autres parois. Les effets d’ombre et de lumière se multiplient partout dans l’aménagement intérieur qui alterne les surfaces opaques, les revêtements polis de la résine au sol et les laques immaculées des meubles.

Ici, pas d’effet ni de design surdessinés mais une simplicité des surfaces conçues comme des masques et des écrans sur lesquels se reflètent la course du ciel et les mouvements de la végétation.

Ainsi, en projetant des variations du paysage jusqu’au centre de la maison, le concepteur met en scène l’écoulement de la journée et magnifie la finesse et les qualités structurelles de l’enveloppe de béton.

Au cœur de l’habitation, une zone d’entre-deux mêle le dedans et le dehors.
Au cœur de l’habitation, une zone d’entre-deux mêle le dedans et le dehors.
Les espaces de repas donnent sur le jardin et sur le patio intérieur.
Les espaces de repas donnent sur le jardin et sur le patio intérieur.

Reportage photos : Hervé ABBADIE

Maître d’ouvrage : privé – Maître d’œuvre : Frank Salama, Atelier d’Architecture – BET structure : BEST – Entreprise gros œuvre : ECTR – Surface habitable : 180 m² – Coût : non communiqué – Programme : séjour, cuisine, repas, 2 chambres, 2 salles de bains, buanderie, bureau, réserve, local technique, rangements, salon d’été, piscine, parking couvert.



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