Sobre, intégrée, la promenade d'Aldilonda longe la citadelle de Bastia. En balcon sur la mer, elle redonne une identité maritime à la ville.
Sobre, intégrée, la promenade d'Aldilonda longe la citadelle de Bastia. En balcon sur la mer, elle redonne une identité maritime à la ville.

Le projet Spassimare est une voie douce de plusieurs kilomètres qui longe le littoral bastiais. Manquait un tronçon au niveau de la citadelle qui, tout monument inscrit au patrimoine qu’elle soit, générait une véritable rupture dans la ville. Pour la franchir, l’ancienne municipalité avait prévu un tunnel, mais à cette logique fonctionnaliste, le nouveau conseil municipal a préféré contourner la citadelle pour offrir aux Bastiais une promenade en bord de mer. En raccordant le vieux port, au nord, à l’anse de Porto-Vecchio au sud, l’ouvrage relie le centre historique au quartier sud, jusqu’alors séparés par la citadelle. Le groupement de maîtrise d’œuvre piloté par Dietmar Feichtinger architectes, associé à l’agence d’architecture Buzzo Spinelli, aux paysagistes InSitu et au bureau d’études structure SBP, a remporté le concours en 2017.

 

Entretien avec Dietmar Feichtinger 

Quelle est l’originalité de cet ouvrage ? 

Contrairement aux autres réponses du concours qui avaient conçu des passerelles en pleine mer, nous avons choisi de longer les remparts en nous adossant aux rochers. Cette solution nous a permis d’imaginer un parcours rythmé par plusieurs séquences : du nord au sud, la rampe d’accès, la promenade sur la roche, en balcon sur la mer, et la galerie de liaison sous la Poudrière.  

Présente-t-il des difficultés particulières de conception ? 

Avec les ingénieurs SB Partners, nous avons longuement étudié la résistance des matériaux, les ancrages dans la roche et la géométrie de l’ouvrage car il était important de caler très précisément les niveaux et le profil en long : le balcon maritime est posé sur les rochers sous l’assise des remparts. Le cheminement est horizontal dans sa majeure partie et se raccorde à l’existant avec des pentes douces.
L’ouvrage va également être soumis à une houle très forte, de l’ordre de 14 tonnes au mètre carré, ce qui est énorme. Pour affiner les calculs, nous avons réalisé avec le BET maritime Océanide des essais en bassin qui simulent les efforts des vagues. En raison de la forte houle, il était essentiel de réaliser un tablier monolithique pour éviter de créer des points de fragilité.

Pourquoi avoir choisi le béton

Il était important de rester dans l’esprit du site patrimonial. Nous souhaitions intégrer au mieux la promenade dans le paysage et l’histoire avec l’idée de créer une jonction parfaite entre la roche et les remparts. Le béton, par sa résistance à la corrosion maritime et sa texture minérale, s’est imposé. D’autant que nous avons intégré dans sa formulation des agrégats prélevés sur le site afin d’approcher au plus près la teinte de l’environnement naturel et que nous avons choisi une couche finale en béton squamé, finition qui consiste à scalper, après durcissement, la peau du béton sur quelques millimètres pour faire apparaître sa texture interne, c’est-à-dire la couleur et la forme des granulats, et lui donner l’aspect d’un sol rocheux.

 

Technique et structure 

Le tablier est une structure « intégrale », c’est-à-dire un monobloc coulé en place sans joint de dilatation. Long de 450 m sur 3 m de large, le tracé s’élève à 5 m au-dessus du niveau de la mer, hauteur qui permet, par l’inclinaison de la rampe d’accès PMR, de connecter l’ouvrage à la digue génoise de la jetée du Dragon dans le vieux port. La promenade se poursuit le long du rivage, soit posée sur la roche, soit en balcon sur la mer, portée par des consoles ancrées dans le substrat rocheux. Elle se termine, au sud, par une galerie de liaison (25 m de long) creusée sous la Poudrière, à l’endroit le plus étroit. « Deux raisons justifient le choix de ne pas contourner la Poudrière », explique l’architecte Jean-Philippe Spinelli. « La première est patrimoniale : nous ne voulions pas entamer la pointe de la citadelle ; la seconde est traditionnelle : c’est un endroit très prisé des jeunes Bastiais qui, depuis la nuit des temps, sautent dans la mer depuis le haut de ces remparts. »

Les consoles préfabriquées en béton sont évidées pour répondre aux contraintes de poids.
Les consoles préfabriquées en béton sont évidées pour répondre aux contraintes de poids.

Un chantier complexe 

La mer, la citadelle, la roche rendent difficile la présence d’engins lourds sur place. Pour mener à bien le chantier, l’entreprise Antoniotti s’est associée à la société NGE, spécialisée dans les fondations complexes, pour réaliser les sections de dalle sur roche ainsi que l’ancrage des consoles en béton lorsque le tablier est en balcon sur la mer. 

Des difficultés géotechniques ont accru la complexité du chantier : « La roche sous la citadelle était fortement altérée », précise Jean-Philippe Spinelli. « Il a donc fallu purger les parties terreuses et les combler. On a également découvert une poche de vide de 100 m3 sous les remparts qu’il a fallu sécuriser. L’occasion de restaurer les remparts qui n’avaient pas été inspectés depuis longtemps et qui étaient parfois en assez mauvais état. »

 

Haute voltige

Les 23 consoles (de 3 à 6 m de long) ont été préfabriquées en Aveyron par l’entreprise Lagarrigue (filiale du groupe NGE) et acheminées en bateau. « Pour les ancrer », reprend Jean-Philippe Spinelli « NGE a fait appel à des cordistes qui les ont scellées en haut puis en bas sur des voiles de béton au moyen de cinq tirants d’ancrage (et six tirants pour une console qui dépasse les 3 m d’envergure) qui font jusqu’à 24 m de long selon la nature de la roche. Les tronçons du tablier, également préfabriqués, sont ensuite posés sur les consoles au moyen de profilés métalliques. Le vide de 80 cm séparant les consoles et les tronçons est ensuite ferraillé à l’avancement, coffré, avant de couler le béton. »

Les éléments de serrurerie – garde-corps et caillebotis – sont ancrés dans la couche de finition en béton squamé réalisée avec des agrégats rocheux prélevés sur place afin d’harmoniser l’intégration dans le paysage. 

Cadrant la ligne d’horizon, la galerie de liaison (25 m) a été creusée sous la Poudrière et bétonnée avec un coffrage à la planchette. Elle est éclairée en son centre par un puits de lumière qui permet de remonter vers la citadelle. 

Pour intégrer l'ouvrage dans le paysage et l’histoire, le béton de la promenade valorise des agrégats prélevés sur le site. Le parement est un béton squamé pour laisser apparaître sa texture interne.
Pour intégrer l'ouvrage dans le paysage et l’histoire, le béton de la promenade valorise des agrégats prélevés sur le site. Le parement est un béton squamé pour laisser apparaître sa texture interne.

Les travaux seront terminés en octobre 2020. D’ores et déjà, cette ligne horizontale, très simple, très intégrée, met en valeur l’ancienne bastille génoise. Comme le résument les architectes : « Le monument ici, c’est la citadelle, non l’ouvrage. »

Localiser la réalisation

Fiche technique

Programme : réalisation d’un cheminement piétons, PMR et cyclistes contournant la citadelle.
Maîtrise d’ouvrage : commune de Bastia.
Maîtrise d’œuvre : Dietmar Feichtinger architectes (mandataire) / Buzzo Spinelli Architecture / InSitu paysagistes / Schlaich Bergermann Partners, BET structure / BETEM, VRD / Océanide études hydrodynamiques, BET maritime.
Entreprises : Antoniotti (mandataire) : rampe d’accès, galerie et anse sud / promenade en balcon et dalle sur roche : NGE / Lagarrigue : consoles et tronçons préfabriqués.
Calendrier : concours 2017 – livraison octobre 2020.
Coût : 7,2 M€ HT.

Bétons 
Consoles : béton de classe de résistance C50/60 – classe d’exposition XS3.
Tablier : béton de classe de résistance C40/50 – classe d’exposition XS3.
Couche de finition : béton squamé réalisé avec les agrégats du site.



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