Le pont-rail a été construit à 49 mètres de son futur emplacement, au milieu du parking d’Épinay-sur-Orge. L’ouvrage en béton armé est constitué d’un cadre rectangulaire (au centre de la photo), complété de deux travées d’approche reposant sur des bracons inclinés à 45°. Quatre murs en ailes (l’un d’eux est visible en bas à droite) viennent compléter l’ouvrage.

Avec plus de dix millions de voyageurs transportés chaque jour, le réseau de transports en commun d’Île-de-France est parmi les plus empruntés d’Europe. On imagine aisément que la décision de couper l’une de ses lignes ferroviaires pour travaux n’est jamais prise à la légère par le gestionnaire du réseau, surtout lorsqu’il s’agit de créer un nouveau franchissement ! Le donneur d’ordres a alors deux options : soit il coupe totalement la ligne pendant plusieurs mois le temps de réaliser les travaux, soit il trouve des moyens ingénieux et innovants pour limiter le temps d’interruption. C’est évidemment la seconde option qu’il privilégie dès que les contraintes d’exploitation sont importantes. En la matière, la mise en place d’un ouvrage d’art par ripage est la technique la mieux adaptée. C’est ce procédé, qui consiste à construire le pont à proximité de son emplacement définitif, puis de l’y déplacer une fois terminé, qui a été employé à Épinay-sur-Orge (Essonne), dans le cadre du projet du nouveau tram-train T12, entre Massy-Palaiseau et Évry. À cet endroit, il s’agissait de faire passer la future infrastructure sous les quatre voies du RER C et de la LGV Paris-Orléans ! Pour réaliser ce franchissement, il fallait construire un pont de 37 m de long, 10 m de haut et 18 m de large.

L’un des moments forts du chantier s’est tenu, par chance, dans la nuit du 13 au 14 mars 2020, soit deux jours avant le premier confinement ! Il s’agit du coulage de la traverse supérieure du pont, lors duquel 700 m3 de béton ont été coulés en continu par pompage, entre 20 h et 8 h du matin.

72 heures pour transformer un talus ferroviaire en pont-rail

Programmé quatre ans à l’avance par SNCF Réseau, maître d’ouvrage et maître d’œuvre du projet, le top départ de l’opération coup de poing (OCP), nom générique donné aux travaux menés dans un laps de temps très court sous interruption du trafic ferroviaire, était donné le 21 mai 2020 à 13 h. Le groupement d’entreprises, piloté par l’entreprise Demathieu Bard Construction, disposait à partir de ce top départ d’un créneau d’un peu moins de 72 heures, soit jusqu’au 24 mai 2020 à 12 h 40, pour déplacer l’ouvrage depuis son site de construction, remblayer, puis remettre la plateforme ferroviaire du RER C et de la LGV en service. « Ces trois jours correspondaient au week-end de l’Ascension, seul moment de l’année où il était possible de couper quatre lignes ferroviaires aussi longtemps », commente Ludovic Ayma, directeur du chantier. « Si nous avions construit l’ouvrage sur place, la SNCF aurait dû interrompre la circulation pendant environ six mois, en tenant compte de rythmes de production de génie civil extrêmement soutenus ! », poursuit le directeur de travaux. 

Un ouvrage d’art construit à 50 mètres de son emplacement définitif

Pour préparer cette OCP, un autre compte à rebours a été déclenché. D’une durée d’un an, il consistait à construire le pont-rail à 49 mètres de son futur emplacement, au milieu du parking de la gare d’Épinay-sur-Orge. L’ouvrage est constitué d’un cadre rectangulaire en béton armé complété par deux travées d’approche reposant sur des bracons inclinés à 45° épousant la forme des remblais. Si la fabrication du cadre rectangulaire central n’a pas posé de problème particulier aux équipes de Demathieu Bard Construction, celle des travées d’approche s’est avérée plus technique. « La fabrication du rampant incliné de 12 m de long, 18 m de large pour 80 cm d’épaisseur a nécessité la création d’un système d’étaiement particulier – composé de palées provisoires et de profilés métalliques – afin de fixer les peaux coffrantes inclinées et de tenir la poussée des bétons », décrit Ludovic Ayma.

Ce système d’étaiement a d’ailleurs lui aussi été conçu par la direction technique de Demathieu Bard Construction pour pouvoir être ripé longitudinalement en dehors des travées d’approche, une fois celles-ci réalisées, afin de permettre son démontage avec la grue à tour.

Le coulage de nuit de la traverse supérieure du pont-rail a nécessité l’utilisation simultanée de deux camions pompes, de deux centrales à béton d’Eqiom, et mobilisé près de 50 personnes.

700 m3 de béton coulé en continu par pompage en 12 heures

Autre moment fort : le coulage de la traverse supérieure du pont, de 37 m de long et 18 m de large. « Afin de ne pas créer de dissymétrie dans la répartition des efforts dans les travées d’approche, ce qui aurait pu générer de potentielles fragilités structurelles, nous devions couler le tablier supérieur en une fois », se souvient Ludovic Ayma. C’est ainsi que dans la nuit du 13 au 14 mars 2020, de 20 h à 8 h du matin, environ 700 m3 de béton ont été coulés en continu par pompage. Ce gros volume a nécessité l’utilisation simultanée de deux centrales à béton d’Eqiom, celles d’Orly et de Marcoussis, et mobilisé pas moins de 14 compagnons, 24 chauffeurs, 3 pompistes et 7 dallagistes ! « Pour garantir la qualité de réalisation, la consistance du béton frais était testée deux fois : à la sortie de la centrale et à l’arrivée de la toupie sur le chantier », précise Ludovic Ayma.

Adaptation au Covid 

Ce coulage stratégique a, par chance, été réalisé deux jours avant le premier confinement : « Le 17 mars au matin, nous fermions le chantier pour un mois complet. Mi-avril, lorsque nous avons repris, nous devions absolument rattraper le retard – et réaliser les travaux en un mois au lieu de deux – car les dates du ripage n’étaient pas déplaçables ! » C’est ainsi que l’entreprise a dû mettre les bouchées doubles. Le chantier a repris sur deux postes, y compris les samedis et jours fériés. Pour gagner du temps, plusieurs modifications méthodologiques ont été proposées à SNCF Réseau. Ainsi, les murs de fermeture des travées d’approche (10 m par 10 m) devaient initialement être coulés en place. « Pour gagner du temps, nous avons projeté du béton par voie sèche à prise rapide agréé par la direction de l’ingénierie de la SNCF. » Ce procédé sans coffrage, habituellement mis en œuvre pour les soutènements ferroviaires provisoires ou définitifs, permettait d’obtenir des résistances à la compression très importantes dès 8 heures de prise. « Par ce choix, nous avons gagné deux semaines de travail », assure Ludovic Ayma. Et terminé l’ouvrage à temps pour l’OCP.

L’une des premières actions de l’opération coup de poing (OCP) a consisté à créer dans le remblai ferroviaire la brèche nécessaire à l’insertion du pont-rail. 13 000 m3 de terre ont ainsi été déblayés en 24 heures.

Top départ pour un ripage millimétré

C’est ainsi que le 21 mai à 13 h, tout était prêt pour que SNCF Réseau donne le top départ de l’OCP. Dès la circulation interrompue, Colas-Rail a pris possession du talus pour découper et déposer les rails et les panneaux de voie. Il s’est ensuite agi pour l’entreprise Wiame TP de déblayer le remblai ferroviaire pour créer la brèche nécessaire à l’insertion du pont-rail : 13 000 m3 de terre ont pu être déblayés en 24 h au cours d’un terrassement grande masse. Il a fallu ensuite vérifier que la portance du sol était compatible avec les 6 500 tonnes de l’ouvrage. « Nous n’avions pas d’inquiétudes car le talus ferroviaire avait exercé pendant des dizaines d’années un poids supérieur à celui de l’ouvrage qui allait le remplacer, à la manière d’un préchargement », commente Ludovic Ayma. Dernière étape avant le ripage proprement dit : le scalpage de la surface de ripage à la bonne cote, avec une précision en nivellement de 1 cm, afin que l’ouvrage puisse glisser sans effort excessif. Une fois la voie dégagée et préparée, c’est l’opération de ripage proprement dite qui a pu se dérouler. Pour la réaliser, Demathieu Bard s’est appuyé sur l’expertise de Freyssinet en la matière. L’entreprise a développé un procédé breveté, l’Autoripage®, à la méthodologie « bien huilée », très souvent utilisé pour les ouvrages de franchissement ferroviaire. Cette méthode consiste à faire glisser le pont sur un coulis de boue bentonitique lubrifiant, directement appliqué sur le sol. Le déplacement est assuré par cinq vérins avaleurs de câbles (1 000 tonnes de capacité unitaire). Positionnés à l’arrière du radier du pont, ces derniers tirent sur les câbles fixés à l’avant, sur les nervures d’un radier de guidage provisoire, destiné à guider l’ouvrage pendant son ripage et à reprendre la totalité des efforts de poussage. 

Huit heures ont été nécessaires pour faire parcourir les 49 mètres qui séparaient l’ouvrage de son emplacement définitif. Une fois en place, tandis que la plateforme ferroviaire qui avait été préchargée sur l’ouvrage (ballast et panneaux de voies) était raccordée aux plateformes en attente de part et d’autre de la brèche, les derniers remblaiements latéraux étaient effectués. 

« Finalement, nous avons terminé notre OCP avec une heure d’avance ! », se réjouit Ludovic Ayma.

Une fois la brèche créée dans le remblai ferroviaire, le parcours de ripage a été scalpé à la bonne cote, afin de permettre à l’ouvrage de glisser sans effort excessif. Le ripage proprement dit a alors pu se dérouler : huit heures ont été nécessaires pour faire parcourir au pont-rail de quelque 6 500 tonnes les 49 mètres qui le séparaient de son emplacement définitif.

Des bétons agréés par SNCF Réseau

La totalité des bétons des structures, provisoires ou définitives, a été réalisée avec une formulation unique répondant aux normes et prescriptions très strictes imposées par SNCF Réseau. Il s’agit d’un béton de classe de résistance C35/45 résistant aux sels de déverglaçage (classe d’exposition XD3), formulé à base d’un ciment de type CEM III. « Ce type de ciment, qui contient une plus faible proportion de clinker, limite la montée en température au cœur du matériau lors de la prise du béton. Cela permet de maîtriser les risques d’apparition des réactions sulfatiques internes, qui peuvent créer à terme des désordres structurels », détaille Ludovic Ayma. Afin d’éviter une autre pathologie potentielle du béton, le phénomène d’alcali-réaction, les granulats du béton ont par ailleurs été sélectionnés à l’issue d’études en amont afin de limiter la présence de silice réactive.


 

Une fois le pont-rail dans sa position définitive, la plateforme ferroviaire, déjà préchargée sur l’ouvrage (ballast et panneaux de voies), a été raccordée aux plateformes en attente de part et d’autre de la brèche. Parallèlement, les derniers remblaiements latéraux ont été effectués. Finalement, l’OCP s’est achevée avec une heure d’avance sur le planning !

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Fiche technique

Reportage photos : © Photothèque DEMATHIEU BARD

  • Financement : Île-de-France Mobilités
  • Maître d’ouvrage et maître d’œuvre : SNCF Réseau
  • Entreprises : groupement DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION (mandataire, génie civil), Wiame TP (co-traitant, terrassements). Sous-traitants et fournisseurs : Freyssinet (ripage, y compris les études), DEMATHIEU BARD Société de Matériel (matériel étaiement), Colas Rail (travaux de voies), Eqiom (ciment et béton)
  • Coût des travaux : 8 millions d’euros HT 

Chiffres clés

  • 6 500 tonnes de béton 
  • 430 tonnes d’armatures
  • 12 000 m3 de terrassements en grande masse



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